Entrepreneurs : un manque de suivi qui pourrait vous coûter 237 000 $

13 avril 2021 par Olivier B. Ampleman

un homme qui consulte son ordinateur

Nous sommes mercredi après-midi et vous travaillez tranquillement dans votre bureau. La matinée a été très occupée, mais le calme est revenu et vous vous occupez de tâches administratives, lorsque vous recevez l’appel d’un homme d’affaires prospère que vous connaissez. Celui-ci souhaite vous rencontrer, car il veut diversifier ses affaires et acheter votre entreprise qui est en croissance, et qui jouit par ailleurs d’une excellente réputation auprès de ses clients.

Vous êtes encore jeune et vous n’aviez jamais songé à vendre jusqu’à présent, mais son offre est tellement alléchante, avec un prix bien supérieur à celui que vous auriez pu penser obtenir, que vous souhaitez l’accepter. Vous entreprenez donc les démarches nécessaires, incluant la vérification diligente par l’acheteur, et vous vous rendez chez votre bureau de fiscalistes afin de structurer la transaction. Tout est en ordre, à un détail près.

Malheureusement, vos actions ne se qualifient pas à titre d’actions admissibles de petite entreprise. En effet, votre entreprise ayant eu beaucoup de succès au cours des dernières années, vous avez accumulé d’importants bénéfices non répartis dans votre société de gestion, au point que vos placements représentaient au moment de l’offre plus de 50 % de sa valeur, et que vous n’avez donc pas droit à la déduction pour gains en capital. Votre fiscaliste souhaite connaître votre intention. Désirez-vous tout de même poursuivre la transaction?

Comme l’offre est si élevée que vous ne savez pas si vous pourrez en avoir une aussi bonne dans le futur, vous décidez de conclure la vente. Vous êtes heureux du résultat, mais avouons-le, la facture d’impôts supplémentaires de 237 000 $ vous laisse un arrière-goût amer.

 

Je remarque souvent que les entrepreneurs ne sont pas mis au courant des règles de la déduction pour gains en capital, ce qui pourrait leur coûter cher dans des situations comme celle décrite ci-dessus. Afin de vous éviter une pareille situation, voici les éléments de base que vous devez impérativement connaître à son sujet si vous avez une entreprise.

Fonctionnement de l’exonération

La déduction pour gains en capital (« DGC ») est une mesure permettant aux particuliers qui résident au Canada d’exonérer d’impôt une partie du gain en capital réalisé lors de la vente d’actions admissibles de petites entreprises (« AAPE »), ou de biens agricoles ou de pêche admissibles (« BAPA »). Le gain libre d’impôt pourrait alors atteindre 892 218 $ dans le cas d’une disposition d’AAPE en 2021 – un montant indexé annuellement qui représente 237 821 $ d’économie à un taux d’inclusion de 50 % et un taux d’imposition de 53,31 % – ou 1 M$ lors d’une disposition de BAPA.

Pour être « admissibles », les actions d’une petite entreprise doivent remplir trois critères (simplifiés ici) :

  1. La société doit se qualifier au moment de la disposition, en tant que société exploitant une petite entreprise (« SEPE »), c’est-à-dire une société privée sous contrôle canadien (« SPCC ») dont plus de 90 % de la juste valeur marchande des actifs est utilisée dans l’exploitation active d’une entreprise, principalement au Canada. (« Critère de l’actif à la date de disposition »)
  2. Les actions doivent n’avoir appartenu qu’au particulier qui les vend, ou à une personne qui lui est liée, au cours des 24 mois précédant le moment de la disposition. (« Critère de durée de détention »)
  3. Tout au long de cette période de 24 mois, plus de 50 % de la juste valeur marchande des actifs de la société doit avoir été utilisée dans l’exploitation active d’une entreprise, principalement au Canada. (« Critère de l’actif pendant les 24 mois »)

Bien souvent, le 3e critère est celui qui est problématique parce que l’entrepreneur ne peut prendre aucune action qui corrige immédiatement la situation. Dès qu’il n’est pas respecté, ne serait-ce que pour un moment, une nouvelle période de 24 mois doit obligatoirement s’écouler avant que l’actionnaire puisse tenter de profiter de la DGC, et cela n’est pas nécessairement possible.

À l’inverse, le 1er critère peut être respecté en utilisant simplement des techniques de purification juste avant de conclure la transaction, ce qui sera généralement recommandé à l’entrepreneur par son comptable ou par son fiscaliste. Le but est alors de sortir de la structure suffisamment de biens non admissibles, tels que les placements sur les marchés boursiers et les liquidités qui excèdent les besoins raisonnables du fonds de roulement. Parmi ces techniques, on compte notamment le versement de dividendes, l’acquisition d’immobilisations admissibles et le remboursement de dettes.

Une fois la qualification des actions effectuée, la DGC peut être utilisée pour réduire le gain en capital imposable jusqu’au plafond mentionné précédemment. Certains éléments réduisent cependant l’exonération auquel un contribuable est admissible, dont tout montant de DGC déjà utilisé, la somme des pertes au titre d'un placement d'entreprise qu’il a réalisées précédemment, et son solde de perte nette cumulative sur placements.

Il faut également savoir que même si le gain au complet est exonéré, il est fort probable que le contribuable ait à payer des impôts l’année de la vente en raison de l’application de l’impôt minimum de remplacement (« IMR ») qui limite les avantages fiscaux dont un particulier peut jouir durant une année donnée. Heureusement, l’IMR est récupérable au cours des sept années suivantes, sous la forme d’un crédit d’impôt non remboursable, lorsque les revenus imposables du contribuable sont suffisamment élevés.

Structure corporative impliquant plusieurs sociétés

Il convient d’apporter des précisions quant aux règles mentionnées précédemment puisque beaucoup d’entrepreneurs ont une structure corporative qui implique plusieurs sociétés, et que cela complexifie la situation.

D’abord, il est essentiel de souligner que les actions doivent être vendues par un particulier pour que la DGC puisse être utilisée, ce qui disqualifie la vente d’actions par une société de gestion. Si les actions d’une société opérante sont détenues par l’entremise d’une telle société, ce sont les actions de cette dernière qui devront être vendues.

Ensuite, si la société qui est vendue ne respecte pas le Critère de l’actif pendant les 24 mois uniquement avec ses biens d’entreprise, et qu’elle a besoin d’inclure ses placements dans les actions ou les dettes de sociétés rattachées pour y arriver, alors des limitations supplémentaires s’appliquent. Grossièrement, soit 1) les sociétés filles doivent surpasser le seuil de 90 % d’actifs admissibles pour être elles-mêmes considérées comme des actifs admissibles pour leur société mère, ou alors 2) elles pourront dépasser le seuil de 50 % sans dépasser celui de 90 %, mais c’est la société mère qui héritera de l’obligation de dépasser le seuil de 90 %. Encore une fois, ce critère devra être respecté tout au long de la période de 24 mois précédant le moment de la vente.

Finalement, pour respecter le Critère de l’actif à la date de disposition, tant la société mère que les sociétés filles utilisées pour dépasser le seuil de 90 % devront, au moment de la disposition des actions de la société mère, dépasser ce seuil et se qualifier en tant que SEPE.

Que se passe-t-il en cas de décès?

Comme la mort d’un contribuable entraîne une disposition réputée de ses biens, la DGC peut être utilisée par sa succession si certains d’entre eux se qualifient d’AAPE ou de BAPA au moment du décès. Évidemment, cela nécessite que les critères soient remplis, et comme cet évènement est rarement prévisible, cela rend la planification du respect des cibles d’actifs difficile. Il s’agit donc d’une raison de plus pour les entrepreneurs de garder à l’œil de façon continue la valeur des biens utilisés dans l’exploitation active de leur entreprise.

Sur une note positive, sachez cependant que le gouvernement fait preuve de souplesse dans le cas du décès d’un contribuable, et qu’une exception de la loi peut s’appliquer si seulement le Critère de l’actif à la date de disposition empêche la qualification des actions comme AAPE au moment du décès. Les actions sont alors réputées être des AAPE de l'actionnaire à ce moment, si au cours de la période de 12 mois qui l’a précédé, le critère de 90 % a été respecté à un moment donné.

Épargnez-vous l’arrière-goût amer

La déduction pour gain en capital est une mesure fiscale très généreuse dont tous les propriétaires d’entreprise aimeraient se prévaloir, mais elle nécessite en contrepartie un certain travail de suivi de leur part. Si vous souhaitez vous-même en bénéficier éventuellement, tentez de dépasser le seuil de 90 % d’actifs admissibles fréquemment, et assurez-vous minimalement de respecter le Critère de l’actif pendant les 24 mois en tout temps. Cela vous évitera de penser à votre facture d’impôts supplémentaires à un moment où vous devriez vous réjouir d’un succès qui est le fruit de longues années de travail.

Nous avons rédigé le présent commentaire afin de vous donner notre avis sur différentes solutions et considérations en matière d’investissement susceptibles d’être pertinentes pour votre portefeuille de placements. Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement ceux de la Financière Banque Nationale. En les exprimant, nous nous efforçons d'appliquer au mieux notre jugement et notre expérience professionnelle du point de vue d’une personne appelée à suivre un vaste éventail de placements. Par conséquent, le présent texte représente notre opinion éclairée et non une analyse de recherche produite par le Service de recherche de la Financière Banque Nationale, ou une recommandation légale.

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