6 mai 2021 par Olivier B. Ampleman
Que changeriez-vous aux lois fiscales canadienne et québécoise si vous en aviez l’opportunité?
Certaines personnes aimeraient sans doute qu’elles soient simplifiées (il n’y a pourtant que quelques milliers de dispositions dans chacune d’elles…). D’autres souhaiteraient que la vente d’une entreprise familiale ait les mêmes conséquences qu’elle soit à un tiers ou à un membre de la famille. Pour ma part, je supprimerais le traitement inéquitable envers certains couples.
Une des grosses faiblesses du système actuel – en opposition à ceux d’autres pays – est qu’il considère l’individu comme unité d’imposition plutôt que le couple ou le ménage. Il en résulte que deux couples aux revenus totaux identiques, et dans des conditions similaires, auront des factures d’impôts différentes si leurs revenus ne sont pas répartis de la même façon, en raison de la progressivité des taux d’imposition.
Pourquoi est-ce un problème? Parce que contrairement à ce que cela implique, nous ne sommes pas une société individualiste, mais familialiste. Je connais peu de couples (pour ne pas dire aucun) qui ne s’entraident pas financièrement. De même, combien de Québécois soutiennent, dans la mesure de leurs moyens, leurs enfants majeurs encore aux études? Je n’ai pas la réponse chiffrée, mais je suis persuadé qu’elle est élevée!
Ironiquement dans la situation inverse – celle où les contribuables peuvent recevoir de l’argent du gouvernement – la majorité des prestations sociofiscales sont basées sur le revenu net familial. Sachant cela, il devient donc très tentant de réparer cette iniquité en fractionnant (c.-à-d. en égalisant) les revenus entre les deux membres du couple, ou avec les enfants. Il faut cependant prendre garde à rester dans le cadre bien délimité des manières d’y arriver qui sont acceptées (ou plutôt tolérées) par les gouvernements fédéral et provincial, dont vous trouverez un aperçu ci-dessous.
Comme toujours lorsqu’il s’agit de fiscalité, je vous recommande de consulter un professionnel avant de mettre en place une ou plusieurs de ces stratégies, afin de vous assurer qu’elles conviennent à votre situation et d’éviter l’application de certaines règles fiscales désavantageuses (règles d’attribution, impôt sur le revenu fractionné, règle générale anti-évitement, Etc.).
Le fractionnement du revenu de pension (fédéral) et des revenus de retraite (provincial) est un des moyens les plus aisés dont disposent les couples pour équilibrer leurs revenus. Simplement, il permet à un contribuable d’attribuer annuellement à son conjoint jusqu’à 50 % de ses revenus de pension et de retraite admissibles, qui comprennent notamment les paiements d’un régime de pension agréé (« RPA »), les prestations d’un régime de participation différée aux bénéfices, et les retraits du FERR ou du fonds de revenu viager. Seul bémol, il est nécessaire que la personne qui fractionne soit âgée de 65 ans ou plus à la fin de l’année, mis à part pour quelques types de revenus qui sont admissibles avant cet âge au fédéral (dont les rentes viagères reçues d’un RPA).
Outre pour profiter de la progressivité, cette mesure est intéressante lorsque la personne qui fractionne est en situation de récupération de la pension de la Sécurité de vieillesse, ou de crédits basés sur les revenus individuels, ou lorsqu’elle permet à l’autre conjoint de profiter du montant pour revenu de pension du fédéral et du montant pour revenus de retraite du provincial.
Il s’agit de la seule méthode où l’attribution est uniquement aux fins de l’impôt, ce qui implique qu’il n’est pas requis que l’argent change réellement de mains. Pour être équitable, il faut donc que le contribuable qui fractionne assume l’impôt supplémentaire de son conjoint.
Pour les conjoints âgés de 60 ans et plus qui les reçoivent tous les deux, il est également possible de diviser les rentes de retraite du RRQ accumulées pendant l’union (de fait ou légal). L’importante différence avec la méthode précédente est toutefois que les montants sont réellement versés au conjoint ayant les revenus les plus faibles, qui en devient ainsi propriétaire.
Cela dit, l’impact en cas de séparation est peu significatif. Le RRQ fait partie du patrimoine familial pour les gens mariés ou en union civile, et ceux-ci ont même le droit de demander la division unilatéralement. Quant aux conjoints de fait, la division n’est pas irrévocable et ils peuvent l’arrêter à n’importe quel moment.
Les cotisations au REER de conjoint ont comme avantage qu’elles sont déduites des revenus de celui qui les effectue, réduisant par le fait même son maximum déductible au titre des REER, mais qu’elles sont par la suite imposées entre les mains du titulaire du REER/FERR au moment des retraits.
En revanche, pour que cette méthode soit efficace, les fonds doivent demeurer à l’intérieur du REER/FERR pendant deux années civiles complètes (règle des trois 31 décembre). Faute de cela, c’est le cotisant qui devra s’imposer, à moins que le REER n’ait été transféré à un FERR et que le retrait n’excède pas le minimum de l’année.
Comme pour la division des rentes de retraite du RRQ, le conjoint qui fractionne perd le contrôle des sommes qu’il cotise, mais les implications en cas de séparation varient selon l’état civil, et le cas échéant, le régime matrimonial (p. ex. la société d’acquêts ou la séparation de biens).
Puisque le REER fait partie du patrimoine familial, le conjoint marié ou en union civile peut être confiant de récupérer minimalement la moitié de ses sommes cotisées (plus le rendement) en cas de séparation. Pour l’autre moitié, cela dépendra de si l’union est sous le régime de la société d’acquêts, et si oui, si les sommes cotisées proviennent des biens propres ou des biens acquêts. Effectivement, les biens acquêts sont déjà partageables entre les conjoints en cas de séparation, donc contribuer au patrimoine familial à partir de ceux-ci n’appauvrira pas le cotisant si un tel évènement survient.
Pour ce qui est des conjoints de fait, ils ne bénéficient évidemment pas de la protection du patrimoine familial, ce qui fait que la totalité des sommes cotisées sera perdue en cas de séparation, à moins d’avoir mis en place un contrat de vie commune dont les dispositions permettent d’éviter une telle situation.
En règle générale, un don ou un prêt avec un taux d’intérêt trop faible, au conjoint ou aux enfants mineurs, a comme résultat que l’auteur du transfert des actifs doit s’imposer sur les revenus de bien générés (ainsi que sur les gains en capital dans le cas du conjoint) plutôt que la personne qui reçoit réellement les revenus. C’est ce qu’on appelle communément les règles d’attribution, et celles-ci visent spécifiquement à éviter le fractionnement du revenu.
Il y a cependant une exception lorsque l’époux ou le conjoint du contribuable en question cotise les biens transférés dans un compte d’épargne libre d’impôts dont il est titulaire, et qu’il n’a pas d’excédent CELI au moment où les biens sont versés au compte. Tant que les fonds y demeurent, tout revenu découlant du transfert n’est donc pas assujetti aux règles d’attribution.
Pour les couples qui veulent se simplifier la vie, ou qui ont déjà maximisé leurs régimes enregistrés, une autre option est que le conjoint dont les revenus sont les plus élevés paie une part plus importante des dépenses du ménage. Ce faisant, il réduit ses revenus futurs en ayant moins de capital investi, alors que l’autre conjoint peut dégager des revenus plus élevés en investissant ses propres fonds, tout en évitant les règles d’attribution.
En effet, rien n’oblige les couples à séparer leurs dépenses de façon égale. Par mesure de précaution, il est toutefois recommandé que les conjoints documentent bien leurs dépenses et qu’ils limitent l’utilisation de comptes conjoints, de façon à prouver la provenance des fonds en cas de vérifications par les autorités fiscales.
Si le conjoint le plus aisé ne veut pas renoncer à une partie de son avoir en payant une part plus importante des dépenses du ménage, il est possible de mettre en place un prêt sans que les règles d’attribution s’appliquent, dans la mesure où le taux d’intérêt de celui-ci est au moins égal au taux prescrit en vigueur au moment il est consenti. Le revenu fractionné correspond alors au rendement du capital prêté, moins l’intérêt déductible sur le prêt.
Afin que le fractionnement soit accepté par les autorités, il est important qu’il s’agisse d’un « prêt véritable » au sens juridique, ce qui implique la rédaction d’une convention de prêt qui oblige le débiteur à le rembourser, à demande ou à la conclusion d’un terme.
Pour chaque année d’imposition, incluant la première, les intérêts devront être payés au plus tard le 30 janvier de l’année suivante, faute de quoi les règles d’attribution recommenceront à s’appliquer, pour l’année en question et toutes les années suivantes. C’est pourquoi il est primordial de conserver des traces pour prouver l’existence du prêt, le paiement des intérêts, et l’imposition de ceux-ci dans la déclaration de revenus du prêteur.
Cette stratégie est particulièrement intéressante actuellement, alors que le taux prescrit de l’ARC est au plancher historique de 1 %, parce qu’il est permis d’utiliser le taux initial pour toute la durée du prêt, peu importe qu’elle soit d’une année ou de quarante!
Notez que d’un point de vue purement fiscal, rien n’empêche d’utiliser le prêt à taux prescrit avec des enfants mineurs. Néanmoins, comme ceux-ci n’ont pas la même capacité juridique que les adultes, et puisque la détention d’actifs d’une valeur trop élevée pourrait enclencher un processus de tutelle, il faut généralement faire ce prêt à une fiducie familiale dont ils sont bénéficiaires plutôt que leur prêter les fonds directement.
Tel qu’expliqué dans un précédent article, la règle des pertes apparentes fait en sorte qu’un contribuable qui vend des placements à perte voit celle-ci refusée, si lui ou une personne qui lui est affiliée (p. ex. son conjoint) achète des placements « identiques » à ceux vendus dans la période de 30 jours précédant et suivant la date de la vente, et que ceux-ci sont toujours détenus à la fin de la période. Le prix de base rajusté de l’acheteur est ensuite augmenté du montant de cette perte refusée.
Il s’agit d’une règle qui a habituellement un effet négatif pour les contribuables puisqu’elle vient limiter leurs possibilités de réduire les impôts d’une année donnée, et que dans certains cas elle cause une « perte permanente » de la perte refusée, rendant impossible sa déduction future.
Cependant, il est possible pour les couples de l’utiliser à leur avantage lorsque c’est le conjoint ayant les plus faibles revenus qui possède des placements avec des pertes en capital non réalisées. Celui-ci peut alors volontairement causer l’application de la règle en vendant ces placements et en les faisant acheter par l’autre conjoint. Ce dernier doit conserver les titres pour au moins 30 jours après la vente, à la suite de quoi il pourra réaliser les pertes, qu’il utilisera pour réduire ses gains en capital imposables.
Le plus gros avantage du régime enregistré d’épargne-études est bien sûr qu’il permet de recevoir des subventions des gouvernements fédéral et provincial pour financer les études des enfants. Son utilité ne se limite toutefois pas à cela.
En effet, en plus de rendre possible l’obtention de subventions, le REEE permet le report de l’imposition dans le temps et que ce soit l’enfant qui s’impose sur les revenus, dans la mesure où il poursuit des études admissibles, plutôt que le titulaire du compte. Cette imposition sera sans doute effectuée à un taux inférieur étant donnés les revenus moins élevés des jeunes adultes. Pour ces raisons, cotiser la totalité des 50 000 $ permis au REEE (plutôt que seulement les 36 000 $ qui donnent droit à des subventions) est souvent bénéfique dans la mesure où les REER et les CELI sont déjà maximisés.
À la différence des dons et des prêts sans intérêts aux enfants mineurs et au conjoint, ceux aux enfants majeurs ne donnent pas lieu à l’application des règles d’attribution. Tous les revenus de placement sont donc imposés entre leurs mains, et potentiellement exemptés d’impôts s’ils disposent d’un espace de cotisation CELI suffisant pour y déposer l’ensemble des fonds reçus.
Pour les propriétaires de sociétés par actions, il peut être intéressant d’intégrer les proches à l’actionnariat afin de leur verser des dividendes, et même dans certaines circonstances, de procéder à un gel successoral pour leur transférer la plus-value future de l’entreprise.
Plusieurs méthodes de gel peuvent être utilisées, mais elles impliquent généralement de convertir les actions détenues en actions privilégiées avec droits de vote, et de faire souscrire aux nouvelles actions ordinaires qui s’apprécieront – en mains propres ou par l’intermédiaire d’une fiducie – les personnes qu’on souhaite avantager.
L’avantage vient, oui de la répartition des revenus entre plusieurs personnes, mais potentiellement aussi du report dans le temps de la réalisation d’une partie des gains et de la multiplication de la déduction pour gain en capital.
Consulter un fiscaliste est essentiel avant d’implanter une de ces stratégies, pour plusieurs raisons, mais notamment parce qu’il est important de s’assurer que l’impôt sur le revenu fractionné (« IRF ») ne s’applique pas, auquel cas certains revenus pourraient être imposés dans les mains des bénéficiaires au taux d’imposition marginal maximum (53,31 %) plutôt qu’à leur taux marginal personnel.
Finalement, sachez qu’il est possible pour les propriétaires d’entreprise de donner du travail à leurs proches afin de déduire leurs salaires des revenus de l’entreprise et de profiter de leurs taux d’imposition marginaux moins élevés, en plus de leur permettre de créer de l’espace REER. Les salaires doivent cependant être raisonnables en contrepartie des services rendus, à défaut de quoi la déductibilité des dépenses salariales pourrait être refusée.
Je ne me fais pas d’illusion : les gouvernements fédéral et provincial ne sont pas près de faire une réforme du droit fiscal pour permettre aux couples d’être imposés selon leurs revenus familiaux. Si vous voulez réparer l’iniquité, il ne vous reste donc qu’à consulter un professionnel afin d’organiser vos affaires de façon à payer le moins d’impôts possible, dans les limites du cadre fiscal actuel.
Nous avons rédigé le présent commentaire afin de vous donner notre avis sur différentes solutions et considérations en matière d’investissement susceptibles d’être pertinentes pour votre portefeuille de placements. Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement ceux de la Financière Banque Nationale. En les exprimant, nous nous efforçons d'appliquer au mieux notre jugement et notre expérience professionnelle du point de vue d’une personne appelée à suivre un vaste éventail de placements. Par conséquent, le présent texte représente notre opinion éclairée et non une analyse de recherche produite par le Service de recherche de la Financière Banque Nationale, ou une recommandation légale ou fiscale.